Comme l’expliquent les coordinateurs de cet ouvrage collectif rassemblant quinze contributeurs, l’objet est de proposer une « présentation synthétique pluridisciplinaire et actualisée du système politique portugais » (^{p. 13}). Le constat dressé d’emblée souligne une offre éditoriale sur le Portugal encore trop limitée en France, alors que la demande s’accroit aussi bien dans le champ académique qu’auprès d’un public plus large. Autant dire que l’ouvrage arrive fort à propos dans la perspective du cinquantenaire du 25 avril, mais aussi de la crise politique que traverse le Portugal en cet automne 2023.

Si la gestation du livre a été longue dans le contexte compliqué lié à la Covid-19, le résultat est à la hauteur des efforts consentis. Non seulement pour prolonger un ouvrage antérieur du même type consacré par l’un des co-auteurs à l’Espagne (Christophe Roux), mais aussi pour montrer toute la singularité, sinon l’antériorité, du cas portugais qui, faut-il le rappeler, ne saurait se réduire à un simple appendice ibérique, ni à un cas anecdotique en Europe du Sud. La matière est d’autant plus riche que les différentes contributions mettent en exergue plusieurs renouvellements historiographiques et la nécessité, longtemps délaissée, de penser le politique par le bas.

De cette approche pluridisciplinaire particulièrement riche et stimulante, difficile de ressortir quelques contributions. Plusieurs proposent un précieux « état de l’art », à commencer par cette « revue de la littérature francophone sur le politique au Portugal » (Irène Dos Santos, Victor Pereira et Marie-Hélène Sá Vilas Boas), à la fois « si proche, si loin » (^{p. 17}) selon l’intitulé qui résonne comme un résumé des travaux qui suivent. La dimension historique est traitée avec justesse dans les chapitres deux (Victor Pereira) et trois (Diego Palacios Cerezales), à la fois pour souligner une longue tradition d’exclusion de la citoyenneté et l’importance du prétorianisme depuis le XIX^e siècle, avant de s’interroger sur les contours de cette crise de l’État au cœur du processus révolutionnaire dans les deux années qui suivent le 25 avril 1974. Les deux chapitres suivants décortiquent le mécano institutionnel né de la transition (Damien Connil et Dimitri Löher) et l’évolution d’un système de partis, à la fois résilient et singulier à l’aune européenne (Marco Lisi).

Les chapitres consacrés au pouvoir local (Marie-Hélène Sá Vilas Boas) et à la participation politique (Pedro Magalhães) sont parmi les plus stimulants, soulignant notamment quelques récurrences dans la longue durée - sur la domination des « influents » et la création d’apathie à l’échelle locale -, mais aussi quelques idées reçues sur les comportements politiques, grâce à l’apport relativement récent d’enquêtes et d’indicateurs. L’étude des dynamiques sociales est traitée dans plusieurs chapitres, notamment ceux sur les syndicats (Raquel Rego) et sur les évolutions de l’État-providence depuis 1974 (Rui Branco). L’article sur les enjeux du logement au Portugal (Guya Accornero) est révélateur de la centralité et de la complexité de cette question dans un contexte de gentrification et de tourisme accrus.

Les articles sur l’économie politique du Portugal (Sebastián Royo) et l’analyse des législatives de janvier 2022 (Elisabetta De Giorgi) complètent utilement ce tableau auquel l’article sur les relations extérieures de la démocratie portugaise (David Castaño) apporte l’indispensable éclairage international. C’est d’ailleurs sur cette dimension que l’ouvrage est le plus allusif, sinon lacunaire, malgré le bel effort de synthèse de cette réflexion sur l’Europe, l’Atlantique et la lusophonie. Les questions relatives au long passé colonial et à sa place dans l’espace public sont largement laissées de côté. Au total, l’ouvrage propose un panorama très complet de la recherche. Il laisse entrevoir de belles perspectives mais aussi l’ampleur du chemin à parcourir pour cette génération de chercheurs mise à l’honneur dans ce livre particulièrement utile, pas seulement en France, et dont on ne peut que recommander fortement la lecture.